Pour l'Europe des peuples
Interview de Jean-Michel Vernochet (publiée sur http://www.toutsaufsarkozy.com), coordinateur de Manifeste pour l'Europe des peuples, ouvrage collectif.
R&A - Considérant les dérives de l’actuelle Union Européenne certains auteurs qui s’expriment dans « Le Manifeste », proposent d’en revenir au texte fondateur du Traité de Rome signé en 1957. Pourtant, la relecture des Pères fondateurs pourrait laisser penser que, dès le départ, les dés étaient pipés ?
JMV - Toute la construction européenne s’est faite autour d’un non-dit. Malentendu pour les uns, arrière-pensée pour les autres. Il est clair que la construction a été lancée sur un a-priori implicite : la destruction des États nations. L’idée même de nation étant devenue odieuse aux nouvelles classes dirigeantes dans un monde occidental dominé, au lendemain de la guerre, par un modèle démocratique à prétentions universalistes, exporté par l’Amérique. La nation est depuis accusée de tous les maux, la responsabilité de toutes les guerres passées, présentes ou futures. Cela était évidemment mensonger, mais le propre des idéologiques dogmatiques n’est-il pas qu'elles soient admises et imposées comme Vulgate, sans le moindre examen critique. Intelligentsia et politiques réunis ont tous communié dans la volonté de détruire l’idée même de communauté nationale. Notion toujours méprisable lorsqu’il s’agissait des peuples de la vieille Europe, mais exaltée lorsqu’il s’agissait de soutenir les mouvements exotiques de libération nationale. Attitude schizophrénique, mais en surface seulement puisque la logique inavouée était une guerre sans limites contre la souveraineté des anciennes nations appelées à se satelliser puis se fondre dans l’espace marchand et sécuritaire euratlantique.
Loin de s’affaiblir avec le temps cette haine de l’État national (c’est-à-dire incarnant une communauté et une continuité de destin historique, ethnoculturel), s’est exacerbée jusqu’ à produire une guerre de sept ans en Europe même avec pour but le démantèlement de la Fédération yougoslave. Processus non encore achevé malgré l’épuration ethnique qui a frappé les Serbes dans leur foyer historique du Kossovo et qui pourrait nous réserver des surprises tant la poudrière balkanique mérite bien son nom !
Notons que cette guerre intra-européenne, la première depuis septembre 1939, se déclenche alors que la construction communautaire a pris un tournant décisif avec la signature du Trait de Maëstricht le 7 février 1992, intervenu alors que le processus de désintégration de la Yougoslavie vient de commencer avec la sécession, soutenue par l’Allemagne, de la Slovénie le 25 juin 1991. Cette guerre européenne n’a en fait été rendue possible que par la signature le 17 février 1986 de l’Acte unique européen qui, en matière de sécurité collective, associait le destin de l’Union de l’Europe occidentale à celui de l’Otan qui portera au printemps 1999 le coup de grâce à la Fédération yougoslave au cours de deux mois de bombardements intensifs notamment sur des objectifs civils, soit autant de crimes de guerre.
Les guerres balkaniques ont ainsi révélé la vraie nature de l’Union européenne dans sa vocation à servir les objectifs politiques et militaires de la puissance atlantique au cœur même de l’Europe. Pour mémoire, je rappellerais en raccourci que le Kossovo abrite aujourd’hui la plus grande base américaine à l’Ouest du continent, que d’autres sont en cours d’aménagement chez les derniers arrivants, Roumanie et Bulgarie ; que la Pologne, supplétif des anglo-américains en Irak (où à contre sens du mouvement général de désengagement, renforce son contingent à l’heure de la débâcle !), va installer des batteries de missiles anti-missiles qui n’ont évidemment pas vocation à bloquer d’éventuelles frappes iraniennes, mais bien à contenir, au sens d’encercler, une Russie qui poursuit son effort de reconstruction nationale. Je rappelle enfin, que la guerre du Kossovo a été conduite par les Européens sous la houlette du Grand frère - Big Brother – américain, hors de toute légalité internationale, c’est-à-dire sans l’aval du Conseil de Sécurité, mais sous la bannière du Pacte atlantique !
Plusieurs États, membres de l’Union ce sont aujourd’hui associés aux Etats-Unis dans leur guerre d’agression contre d’autres États souverains, en Irak, par exemple, l’un de ce derniers verrous de souveraineté qui bloquent l’intégration des peuples au sein d’un vaste espace de pillage économique – ce que d’aucun nomment le marché global – au profit de minorités oligarchiques, lesquelles ont théorisés la concentration des pouvoirs d’argent entre leur main au nom d’une prétendue liberté : celle du renard libre dans le poulailler libre ; étant entendu que les volailles s’interdisent de battre des ailes pour échapper à leur sort. À ce titre, les peuples ne sont plus aujourd’hui, à mes yeux, que du bétail taillable et corvéable à merci au seul profit des prophètes d’un ultralibéralisme dont la seule foi et la seule loi, tiennent dans la concentration sans limites de puissance entre leurs mains, celle d’une poignée d’élus régnant sur l’univers.
R&A - Pourtant un argument souvent martelé est que, malgré ses imperfections, la grande réussite de l’Europe c’est la paix ?
JMV – Plus c’est énorme et mieux ça marche. Plus le mensonge est phénoménal et plus il devient incontestable. D’ailleurs qui peut répondre, et où, et comment ? La grande presse est aux mains d’analphabètes recrutés spécifiquement pour leur ignardise et leur absence de jugement personnel, qui tournent très vite menteurs professionnels parce qu’enfin, ils ont quand même des yeux pour voir et des oreilles pour entendre. L’exemple des guerres balkaniques est exemplaire et l’affaire n’est pas terminée ; après la Yougoslavie, une fois le Kossovo indépendant, ce sera au tour de la Macédoine. Pendant ce temps l’on nous serine « l’Europe, c’est la paix ». Du pur Orwell. Je signale au passage que pour constituer la Légion arabe qui participa à la guerre de Bosnie sous les auspices de la CIA, Oussama Ben Laden bénéficia d’un passeport diplomatique bosniaque qui lui fut remis à Vienne ! Cela en dit long sur les dimensions cachées des conflits d’Europe orientale et des manipulations qui les accompagnent…
Pour ne pas conclure sur ce chapitre, je note que l’Union participe aux côtés des É-U à sa Guerre sans limites contre l’aire civilisationnelle islamique : n’est-ce pas l’Otan qui conduit les opérations sur le théâtre afghan ? L’Otan, jusqu’à plus ample informé, c’est essentiellement l’Europe. De jeunes européens font donc actuellement la guerre au profit des oligarques et des néo-conservateurs américains. Double conclusion : l’Europe américaine sous tutelle de l’Otan, c’est la guerre ; les politiques et leurs sbires médiatiques nous prennent pour des imbéciles.
R&A – Dans le domaine économique, l’idéologie officielle de l’Union est celle du libre-échangisme intégral. Cela nous a-t-il finalement permis de créer un espace de coprospérité viable ?
JMV - Évidemment non. La liberté des échanges, des personnes, des biens, des idées fonctionne, la plupart du temps, à sens unique. En ce qui concerne les personnes essayez donc d’immigrer illégalement n’importe où dans le monde, vous m’en direz des nouvelles. Il n’y a que dans l’Espace Schengen où l’on puisse entrer comme dans un moulin, s’installer et faire prévaloir des droits exorbitants du sens commun. Quant aux É-U, la Chine, l’Inde, ils protègent jalousement leurs frontières et ces superpuissances ne se privent pas de recourir à des mesures protectionnistes que nous nous interdisons au motif de respecter un carcan de règles infernales qui dévastent nos économies les transformant littéralement en friches industrielles sous l’effet du tsunami des délocalisations vers les pays sans coûts sociaux. La dérégulation générale de l’économie, et ce n’est là qu’un paradoxe apparent, s’accompagne en outre d’une division internationale du travail voulue par les sorciers planétaristes qui décident de nos destinées dans les enceintes du le G8, de l’Otan, de l’OMC. En fait de co-prospérité, l’élargissement démentiel de l’Union à l’Est, tire nos économies vers le bas, nous appauvrit, stérilise nos énergies. Et parce que les nouveaux entrants sont étroitement inféodés aux É-U - à l’Est Washington ne se gêne pas de pratiquer une politique clientéliste avec ses nouvelles démocraties bananières - l’Union élargie à vingt-sept constitue à l’évidence un vrai danger dans l’actuelle conjoncture de guerre. Je veux parler du conflit qui peut intervenir à tout instant contre l’Iran.
R&A - Le protectionnisme ne serait-il pas un choix économique suicidaire pour l’Europe ?
JMV – C’est ce que l’on a voulu nous faire croire pendant des décennies. Cela fait partie de l’arsenal ordinaire du terrorisme intellectuel. Il n’y a pas que les hommes qui soient diabolisés, les idées aussi. Cela permet d’interdire des champs sémantiques essentiels à la compréhension du monde et sans lesquels il ne saurait y avoir de liberté de pensée et d’action. Ce ne sont pas seulement des mots qui sont retranchés du vocabulaire, mais des idées qui sont interdites : s’il vous manque des pièces dans le mécano vous permettant de construire une vision cohérente du monde, vous construisez autrement, de façon bancale, incomplète, faussée.
L’interdit qui frappe certains mots dans cette Novlangue, tels ceux de nation, d’identité – on vient de le voir dans la campagne des présidentielles – ou son corollaire ethnicité, rend impossible de penser la réalité et par conséquent canalise l’action à sens unique. Nous sommes peu à peu enfermés dans des labyrinthes sémantiques qui cassent la logique du vivant – comme dans les nouveaux plans de circulation de la Capitale - et interdisent l’action ; nous sommes prisonnier d’une matrice logique qui nous coupe du réel comme l’avait imaginé George Orwell. De façon générale, le protectionnisme linguistique est essentiel à notre survie en tant que peuple. Nous devons œuvrer contre toutes les tendances à la déstructuration linguistique, tous les abâtardissements anglomaniaques ou créolisant.
Il est clair qu’en matière économique, un certain protectionnisme relève du plus élémentaire bon sens, notamment dans les secteurs où nous devons en aucun cas ne pas dépendre des importations. L’agriculture en est un parmi d’autres : l’éventualité très présente de crises internationales engendrant une rupture des approvisionnements extérieurs, crée une insupportable dépendance. Idem pour l’énergie, ceux qui prônent l’abandon du nucléaire sont, au mieux, des imbéciles.
R&A - Douze millions de paysans sont portés manquants en Europe, les mines, la sidérurgie, le textile ont presque disparu, maintenant les secteurs de haute technologie comme Airbus, paraissent menacés. Quel doit être notre destin dans un monde dominé par la grande finance apatride ?
JMV – Ne plus avoir de destin du tout puisque nous n’existerons plus en tant que peuple doué d’une conscience et d’un imaginaire collectif. Les champs de ruines industriels, mille ans de terroirs effacés par l’agrobusiness, la mémoire effacée des paysages et les jeunes cervelles lessivées par le système de formatage idéologique qui se nomme par antiphrase « Éducation nationale », la déculturation et la zombification universelle, seront notre destin. Celui d’un bétail humain producteur et consommateur et, le cas échéant, chair à canon destinée à l’abattoir dans des guerres perpétuelles opposant le Nord au Sud, l’Ouest à l’Est. Notre destin se situe quelque part entre la matrice des frères Wachowski et « 1984 ».
Je précise que cette façon de voir n’est pas outrancièrement pessimiste ; nous y sommes déjà et la meilleure preuve en est que nous n’en avons que peu ou pas conscience du tout ! Nous ne décidons plus de rien, nous le peuple réputé souverain, car ladite démocratie est depuis longtemps totalitaire à bas-bruit, tout est prohibé et les rares choses autorisées le sont très explicitement (et non le contraire comme l’avait bien noté Coluche). Nous sommes caporalisés, enfermés dans un monde de sens unique, de panneaux d’interdiction, suspects de naissance... N’êtes-vous pas d’accord ?
R&A - Plusieurs contributeurs au « Manifeste » se rattachent à la mouvance souverainiste. Si nous partageons avec eux la conscience aiguë du danger lié à une construction européenne supranationale, a contrario, le refus de l’Europe ne constitue-t-il pas un autre danger ? Celui d’un repli sur le bastion national menacé de n’être plus à terme qu’un ghetto hexagonal ? L’espace géopolitique européen n’est-il pas notre dernière chance ?
JMV – Cela ne se discute pas. Face aux « empires » émergents d’Asie et la surpuissance de la thalassocratie anglo-américaine, notre seule issue est dans la construction d’une Europe-puissance où chacun conservera ses atouts. À nous d’inventer un modèle qui saura associer les prérogatives de la souveraineté avec le jeu coordonné de l’ensemble. Il est clair que certains États auront une voix prépondérante ; la France, l’Allemagne, ou les deux réunis, si la convergence de vue et d’intérêt est atteinte. Pour tout orchestre, il faut un conducteur, le reste est bavardage. De toute façon, seuls, nous ne faisons pas le poids, surtout en traînant le fardeau des droits de l’homme et d’une dette pharamineuse… Quant aux dits souverainistes, permettez-moi de douter de la pureté de leurs intentions : n’ont-ils pas épousé la rhétorique mortelle du Choc des civilisations dont la traduction ici sera la guerre civile ? N’étant pas totalement des sots, j’imagine que leur conception de la souveraineté n’est pas du tout en rupture avec l’atlantisme ; la seule ligne de clivage politique ayant un sens - à présent que droite et gauche sont mortes ou quasiment - est entre indépendance ou satellisation. Les avez-vous entendu dénoncer l’Otan ? Non ? Bon alors !
R&A - Qu’est-ce que l’Europe ?
JMV – Vaste question. L’Europe des peuples préexiste à son concept. La réalité précède l’idée et le mot. L’Europe est une réalité née de l’histoire. Elle existe parce que tous autant que nous sommes, sortons d’une matrice ethno-culturelle commune. Il a les négateurs de l’Europe réelle, ceux qui effacent délibérément les origines et font la guerre à notre mémoire collective ; ceux qui voudraient exclusivement des Européens de papier selon ce qu’ils appellent des critères de convergence. À ce titre, n’importe qui peut se déclarer européen s’il remplit le cahier des charges établi par les eurocrates. Évidemment, il faut d’urgence revenir à la réalité, sortir du rêve éveillé et rebâtir un monde pour des hommes de chair et d’os. L’utopie européiste, meurtrière comme toutes les utopies, nous conduit droit au chaos économique et social. À nous de changer ce funeste destin. À nous de retrouver les chemins de la liberté.
R&A : Le « Manifeste » appelle à une refondation du projet européen comme préalable à renaissance des peuples. Comment vous situez vous idéologiquement par rapport à la ligne de notre revue ouvertement identitaire, grande européenne et révolutionnaire ?
JMV - Rien de ce qui est humain, et particulièrement français et européen, ne m’est étranger. La France est ma terre natale, l’espace culturel et linguistique qui a façonné ma personnalité et modelé ma façon de penser, d’être au monde. Nous faisons corps avec la terre nous vivons. Peut-être peut-on aller jusqu’à dire que nous sommes imprégnés ou possédés par l’esprit de la terre où nous vivons. Toujours est-il que, si aujourd’hui nous ne réagissons pas, nous sommes des condamnés à mort. Mort économique, culturelle, nous disparaissons en tant que peuple porteur d’une haute culture ; nous nous fondons dans un magma humain aux couleurs de la world culture, autrement dit le néant culturel.
Certains ont pu parler encore dans un passé récent de la mission spirituelle de la France, sans aller jusque-là, disons que nous avons un devoir de survie ; or nous ne survivons que dans et par nos enfants dans la mesure où ils nous ressemblent ; ceci suppose la préservation du terreau où ils poussent, c’est-à-dire le support existentiel, territoire matériel, géographique, qui est aussi espace spirituel et culturel. Nous avons également un devoir de fidélité à l’égard de nos aïeux, de nos ancêtres qui ont tant sacrifié, souffert et espéré pour bâtir cette France qui est nôtre d’héritage et de droit ; une entité physique réelle, charnelle, organique et pas seulement une idée pouvant être frappée d’obsolescence. Ne varietur. Cette conscience et cette volonté d’être nous-même, de transmettre ce que nous avons reçu à ceux qui viennent et qui sont nos fils, qui donc, par filiation sont porteurs et vecteurs des destinées anciennes, cela est notre droit et notre devoir.
Si revenir au réel est une attitude révolutionnaire et bien oui, je me déclare comme tel. Je milite pour la révolution du vivant contre les idéologies de mort qui vouent les hommes et les cultures au suicide collectif. Seul l’homme enraciné peut prétendre à l’universalité. Il faut être pleinement soi-même, inscrit dans une lignée cohérente, venant du passé pour aller vers l’avenir. La seule façon d’être humain est d’être pleinement soi-même, conscient et libre de ses choix. La société que nous devons bâtir devra permettre cette assomption de l’homme. Dans le cas contraire, elle est son pire ennemi.
http://alainindependant.canalblog.com/archives/2008/01/20/7632909.html
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