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24 janvier 2010 7 24 /01 /janvier /2010 05:20
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De l'identité - identités multiples ?  

 

     A l'heure où, en France, le débat controversé sur l'Identité nationale "part dans tous les sens", il est naturel à chacun des poser des questions... Questions qui interpellent tout au long de la vie :  illusoire de vouloir réduire l'identité d'une personne selon un critère unique ou des critères qui seraient définis  et figés par loi ou décret. Chacun le ressent bien : l'identité présente de multiples facettes. Cette richesse d'une identité multiple et diverse, que chacun acquiert au cours de son existence, fait de tout être humain une personne unique. Nul besoin d'aller débattre pour cela, dans les préfectures sous la houlette du Pouvoir en place !

 

     Dans un essai "Les identités meurtrières",  paru en 1998 mais plus que jamais d'actualité, Amin Maalouf Amin Maalouf0194livre ses réflexions  pleines de sagesse et de lucidité, d'inquiétude mais aussi d'espoir.

 

 


      Voici l'introduction de son livre ci-dessous.

                                                                

 

 

 

 



 

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Les Identités meurtrières

 


Identités meurtrières0193 bis     Depuis que j’ai quitté le Liban en 1976 pour m’installer en France, que de fois m’a-t-on demandé, avec les meilleures intentions du monde, si je me sentais «plutôt français » ou «plutôt libanais ». Je réponds invariablement: «L’un et l’autre ! » Non par quelque souci d’équilibre ou d’équité, mais parce qu’en répondant différemment, je mentirais. Ce qui fait que je suis moi-même et pas un autre, c’est que je suis ainsi à la lisière de deux pays, de deux ou trois langues, de plusieurs traditions culturelles. C’est précisément cela qui définit mon identité. Serais-je plus authentique si je m’amputais d’une partie de moi-même ?

   A ceux qui me posent la question, j’explique donc, patiemment, que je suis né au Liban, que j’y ai vécu jusqu’à l’âge de vingt-sept ans, que l’arabe est ma langue maternelle, que c’est d’abord en traduction arabe que j’ai découvert Dumas et Dickens et Les Voyages de Gulliver, et que c’est dans mon village de la montagne, le village de mes ancêtres, que j’ai connu mes premières joies d’enfant et entendu certaines histoires dont j’allais m’inspirer plus tard dans mes romans. Comment pourrais-je l’oublier ? Comment pourrais-je jamais m’en détacher ? Mais, d’un autre côté, je vis depuis vingt-deux ans sur la terre de France, je bois son eau et son vin, mes mains caressent chaque jour ses vieilles pierres, j’écris mes livres dans sa langue, jamais plus elle ne sera pour moi une terre étrangère.

  

  Moitié français, donc, et moitié libanais ? Pas du tout ! L’identité ne se compartimente pas, elle ne se répartit ni par moitiés, ni par tiers, ni par plages cloisonnées. Je n’ai pas plusieurs identités, j’en ai une seule, faite de tous les éléments qui l’ont façonnée, selon un « dosage » particulier qui n’est jamais le même d’une personne à l’autre.

  

   Parfois, lorsque j’ai fini d’expliquer, avec mille détails, pour quelles raisons précises je revendique pleinement l’ensemble de mes appartenances, quel qu’un s’approche de moi pour murmurer, la main sur mon épaule: « Vous avez eu raison de parler ainsi, mais au fin fond de vous-même, qu’est-ce que vous vous sentez? »

 

  Cette interrogation insistante m’a longtemps fait sourire. Aujourd’hui, je n’en souris plus. C’est qu’elle me semble révélatrice d’une vision des hommes fort répandue et, à mes yeux, dangereuse. Lorsqu’on me demande ce que je suis « au fin fond de moi-même », cela suppose qu’il y a, « au fin fond » de chacun, une seule appartenance qui compte, sa « vérité profonde » en quelque sorte, son « essence », déterminée une fois pour toutes à la naissance et qui ne changera plus; comme si le reste, tout le reste — sa trajectoire d’homme libre, ses convictions acquises, ses préférences, sa sensibilité propre, ses affinités, sa vie, en somme —, ne comptait pour rien. Et lorsqu’on incite nos contemporains à « affirmer leur identité » comme on le fait si souvent aujourd’hui, ce qu’on leur dit par là c’est qu’ils doivent retrouver au fond d’eux-mêmes cette prétendue appartenance fondamentale, qui est souvent religieuse ou nationale ou raciale ou ethnique, et la brandir fièrement à la face des autres.


    Quiconque revendique une identité plus complexe se retrouve marginalisé. Un jeune homme né en France de parents algériens porte en lui deux appartenances évidentes, et devrait être en mesure de les assumer l’une et l’autre. J’ai dit deux, pour la clarté du propos, mais les composantes de sa personnalité sont bien plus nombreuses. Qu’il s’agisse de la langue, des croyances, du mode de vie, des relations familiales, des goûts artistiques ou culinaires, les influences françaises, européennes, occidentales se mêlent en lui à des influences arabes, berbères, africaines, musulmanes... Une expérience enrichissante et féconde si ce jeune homme se sent libre de la vivre pleinement, s’il se sent encouragé à assumer toute sa diversité ; à l’inverse, son parcours peut s’avérer traumatisant si chaque fois qu’il s’affirme français, certains le regardent comme un traître, voire comme un renégat, et si chaque fois qu’il met en avant ses attaches avec l’Algérie, son histoire, sa culture, sa religion, il est en butte à l’incompréhension, à la méfiance ou à l’hostilité.


   La situation est plus délicate encore de l’autre côté du Rhin. Je songe au cas d’un Turc né il y a trente ans près de Francfort, et qui a toujours vécu en Allemagne dont il parle et écrit la langue mieux que celle de ses pères. Aux yeux de sa société d’adoption, il n’est pas allemand ; aux yeux de sa société d’origine, il n’est plus vraiment turc. Le bon sens voudrait qu’il puisse revendiquer pleinement cette double appartenance. Mais rien dans les lois ni dans les mentalités ne lui permet aujourd’hui d’assumer harmonieusement son identité composée.


  J’ai pris les premiers exemples qui me soient venus à l’esprit. J’aurais pu en citer tant d’autres. Celui d’une personne née à Belgrade d’une mère serbe mais d’un père croate. Celui d’une femme hutu mariée à un Tutsi, ou l’inverse. Celui d’un Américain de père noir et de mère juive...

   Ce sont là des cas bien particuliers, penseront certains. A vrai dire, je ne le crois pas. Les quelques personnes que j’ai évoquées ne sont pas les seules à posséder une identité complexe. En tout homme se rencontrent des appartenances multiples qui s’opposent parfois entre elles et le contraignent à des choix déchirants. Pour certains, la chose est évidente au premier coup d’oeil; pour d’autres, il faut faire l’effort d’y regarder de plus près.


   Qui, dans l’Europe d’aujourd’hui, ne perçoit pas un tiraillement, qui va nécessairement augmenter, entre son appartenance à une nation plusieurs fois séculaire — la France, l’Espagne, le Danemark, l’Angleterre... — et son appartenance à l’ensemble continental qui se construit ? Et que d’Européens ressentent aussi, du Pays basque jusqu’à l’Ecosse, une appartenance puissante, profonde, à une région, à son peuple, à son histoire et à sa langue ? Qui, aux Etats Unis, peut encore envisager sa place dans la société sans référence à ses attaches antérieures — africaines, hispaniques, irlandaises, juives, italiennes, polonaises ou autres ?

 


  Cela dit, je veux bien admettre que les premiers exemples que j’ai choisis ont quelque chose de particulier. Tous concernent des êtres portant en eux des appartenances qui, aujourd’hui, s’affrontent violemment ; des êtres frontaliers, en quelque sorte, traversés par des lignes de fracture ethniques, religieuses ou autres. En raison même de cette situation, que je n’ose appeler « privilégiée », ils ont un rôle à jouer pour tisser des liens, dissiper des malentendus, raisonner les uns, tempérer les autres, aplanir, raccommoder... Ils ont pour vocation d’être des traits d’union, des passerelles, des médiateurs entre les diverses communautés, les diverses cultures. Et c’est justement pour cela que leur dilemme est lourd de signification : si ces personnes elles-mêmes ne peuvent assumer leurs appartenances multiples, si elles sont constamment mises en demeure de choisir leur camp, sommées de réintégrer les rangs de leur tribu, alors nous sommes en droit de nous inquiéter sur le fonctionnement du monde.


    « Mises en demeure de choisir », «sommées », disais-je. Sommées par qui ? Pas seulement par les fanatiques et les xénophobes de tous bords, mais par vous et moi, par chacun d'entre nous. A cause, justement, de ces habitudes de pensée et d’expression si ancrées en nous tous, à cause de cette conception étroite, exclusive, bigote, simpliste qui réduit l’identité entière à une seule appartenance, proclamée avec rage.


    C’est ainsi que l’on « fabrique » des massacreurs, ai-je envie de crier ! Une affirmation un peu brusque, je l’admets, mais que je me propose d’expliciter dans les pages qui suivent.

 

 

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Amin Maalouf, né à Beyrouth en 1949, est un écrivain franco-libanais.

                 Scriptorium

Scriptorium

    Il s’interroge sur la notion d’identité, sur les passions qu’elle suscite, sur ses dérives meurtrières. Diverses questions se posent :


- Pourquoi est-il si difficile d’assumer en toute liberté ses diverses appartenances ?


- Pourquoi faut-il encore, au début du XXIe siècle, que l’affirmation de soi s’accompagne si souvent de la négation d’autrui ?


- Nos sociétés seront-elles indéfiniment soumises aux tensions, aux déchaînements de violence, pour la seule raison que les êtres qui s’y côtoient n’ont pas tous la même religion, la même couleur de peau, la même culture d’origine ?


- Y aurait-il une loi de la nature ou une loi de l’Histoire qui condamne  les hommes à s’entre-tuer au nom de leur identité ?           

 

   Refusant cette fatalité que l’auteur a écrit " Les Identités meurtrières", un livre d'une grande humanité à lire d'urgence, si ce n'est déjà fait.


     Amin Maalouf a publié de nombreux ouvrages, romans, essais, et des livrets d'opéra !.

En 2004,son livre " Origines" a obtenu le Prix Méditerranée : il y raconte ses origines familiales, du Liban à Cuba.

 >>> Un lien parmi beaucoup d'autres : Cf. http://fr.wikipedia.org/wiki/Amin_Maalouf

 

 

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 BIBLIOGRAPHIE


>>> 7 romans


- Léon l'Africain (1986), prix de l’Amitié franco-arabe 1986, biographie romancée de Hassan el-Wazzan, dit Léon l'Africain, commerçant, diplomate et écrivain arabo-andalou

- Samarcande (1988), qui met en scène le poète et savant Omar Khayyam

- Les Jardins de lumière (1991), biographie romancée du prophète Mani

- Le premier siècle après Béatrice (1992)

- Le Rocher de Tanios (Prix Goncourt 1993)

- Les Échelles du Levant (1996)

- Le Périple de Baldassare (2000). Un marchand génois, installé en Orient, part à la recherche d'un livre mythique qui est censé révéler le nom caché de Dieu, encore dit « le centième nom » (Prix Jacques Audiberti-ville d’Antibes 2000).


>>> 4 essais

 

- Les croisades vues par les Arabes, éd. Jean-Claude Lattès, 1983 - rééd. J’ai Lu (ISBN 2-290-01916-X))

- Les Identités meurtrières, éd. Grasset et Fasquelle, 1998. (ISBN 2-253-15005-3)

- Origines (Prix Méditerranée 2004), éd. Grasset et Fasquelle, sur ses origines familiales, du Liban à Cuba

- Le Dérèglement du monde (sous-titre : Quand nos civilisations s’épuisent), éd. Grasset et Fasquelle, 2009.

 

 

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http://salam-akwaba.over-blog.com/article-de-l-identite--40970664.html

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  • : Eva est une femme de paix, de consensus, s'opposant au "choc de civilisations", prônant la tolérance, le dialogue et même la communion de civilisations. Elle veut être un pont fraternel entre les différentes religions monothéistes. Elle dénonce les fondamentalismes, les intégrismes, les communautarismes sectaires et fanatiques, repliés sur eux, intolérants, va-t-en-guerre, dominateurs, inquisiteurs, haineux, racistes, eugénistes, impérialistes.
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