Eva est une femme de paix, de consensus, s'opposant au "choc de civilisations", prônant la tolérance, le dialogue et même la communion de civilisations. Elle veut être un pont fraternel entre les différentes religions monothéistes. Elle dénonce les fondamentalismes, les intégrismes, les communautarismes sectaires et fanatiques, repliés sur eux, intolérants, va-t-en-guerre, dominateurs, inquisiteurs, haineux, racistes, eugénistes, impérialistes.
Siné, sur le blog de Laplote le caricaturiste
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L'intégrisme, c'est quoi exactement ?
Un article publié dans le numéro 2 de la revue Parvis, de juin 1999
Une catégorie universelle ?
Question : Dans le numéro de “Cultures et Foi” sur l’intégrisme, publié en 1986, tu posais toi-même la question : “L’intégrisme phénomène catholique ou catégorie universelle?”. Aujourd’hui, l’extension du concept hors du champ religieux est encore plus sensible. Qu’en penses-tu ?
Réponse : Historiquement, “intégrisme” est un mot de culture catholique et qui par ailleurs s’est développé en milieu catholique. Pendant longtemps, personne ne parlait d’intégrisme en dehors des milieux catholiques. Aujourd’hui, il se trouve qu’il y a une espèce d’épidémie sociale qui atteint tout le monde : le mot est employé à toutes les sauces sans qu’on le définisse, sans que personne ne sache qui cela englobe. La mode, c’est d’en faire une catégorie universelle. On peut s’interroger pour savoir si ce passage est légitime. Personnellement, je suis très réservé. Je suis d’ailleurs déjà réservé sur l’emploi du mot intégrisme : les intégristes, c’est les autres. C’est comme les modernistes : c’est une étiquette infamante mais vue de l’autre côté. On peut se jeter mutuellement à la face des étiquettes : je ne crois pas que ce soit cela qui permette de clarifier beaucoup les problèmes.
Q : Ne pourrait-on pas définir l’intégrisme comme le refus de la modernité ?
R : A ce moment là, il faudrait dire que l’ACJF était intégriste. “Nous referons chrétiens nos frères». C’était un mouvement de reconquête chrétienne contre le monde moderne. C’est en 1921 que Maritain a publié son livre Antimoderne. Le catholicisme a été anti-moderne pendant tout le 19ème siècle, encore largement pendant le 20ème. Et maintenant, quand il se prétend moderne, c’est de manière souvent non critique. C’est Péguy qui a dit que les socialistes “encensent sous le nom de moderne ce qu’ils condamnent sous le nom de capitaliste”.
Un phénomène catholique
Q : Revenons à l’origine que tu as rappelée. Serais-tu d’accord avec la définition proposée par Etienne Fouilloux au cours du colloque de l’ACAT en 1996 : “Fer de lance du catholicisme intégral et intransigeant, réduit contre son gré à l’état de groupes de pression minoritaire, voire oppositionnel, du fait de l’évasion partielle de l’Eglise hors du modèle antérieur” ?
R : Ce que je vais dire peut paraître étonnant. Mais j’ai une approche beaucoup plus historique que Fouilloux qui est pourtant historien. Sa définition m’apparaît trop abstraite. C’est à partir des conflits intérieurs à l’Eglise que j’ai saisi l’émergence et le développement de ce qu’aujourd’hui on appelle intégrisme.
Q : Dans ce cadre, y-a-t-il selon toi continuité entre le mouvement du début du siècle et celui d’aujourd’hui ?
R : Il n’y a pas de continuité historique. On voit seulement l’un ou l’autre personnage secondaire qui peut servir de relais, mais de toute évidence le mouvement intégriste tel qu’il s’est développé autour de Mgr Lefebvre, c’est autre chose que la Sapinière.
Q : Comment interpréter la lettre envoyée à près de 30.000 prêtres ? Signe de faiblesse ?
R : Non. D’autant que les expéditeurs mettent les points sur les “i” dans cette lettre : “Nous sommes l’Eglise qui continue et vous êtes en train de virer à la secte. Nous avons raison, vous avez tort, rejoignez-nous”. Mon sentiment est que le mouvement ne s’étend pas mais ne s’affaiblit pas non plus. Il s’enracine et se consolide dans ses limites. C’est quand même un mouvement international : il y a actuellement une dizaine de districts dans le monde, et un district très important aux USA.
Q : Est-ce que la crise interne du Front National peut avoir une incidence ?
R : Tous les intégristes ne sont pas Front National. La majorité des membres du Front National ne sont pas catholiques. Beaucoup se déclarent athées. Je pense donc que cette crise n’aura pas un effet important, même si elle crée des tensions entre traditionalistes.
Un pluriel ambigü
Q : Sans tout confondre, n’est-il pas légitime de parler, à côté d’un intégrisme catholique, d’un intégrisme juif et d’un intégrisme musulman ?
R : Le problème au niveau du langage, c’est qu’on ne parle pas d’intégrisme protestant mais de fondamentalisme protestant. Là, on est capable de faire la différence. Mais quand on parle des Musulmans, c’est indifféremment des intégristes ou des fondamentalistes.
Quand il y a conflit entre Hindous et Musulmans, est-ce de l’intégrisme ou du fondamentalisme ? Quand on parle d’intégrisme laïque, est-ce l’un ou l’autre ? J’ai aussi entendu parler d’intégrisme ultra libéral en économie !
Q : Est-ce que la manière de se référer aux textes fondateurs ne serait pas un bon critère ?
R : A partir du moment on l’on définit l’intégrisme en référence à la Tradition, et le fondamentalisme en référence à l’Ecriture, on s’aperçoit que l’on peut trouver de l’intégrisme chez les Protestants (ils ont eux aussi leurs traditions) et du fondamentalisme chez les catholiques. Quand on dit : “Il y aura toujours des pauvres parmi vous” ou “rendez à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu”, c’est du fondamentalisme !
Q : Impossible donc de définir une constante qui serait valable dans tous les cas ?
R : En revanche, il y a un terme qui est complètement oublié et que les Lumières du 18ème siècle connaissaient bien, c’est celui de “fanatisme”. Avec ce qui se passe aujourd’hui, en Algérie, en Inde, au Pakistan ou en Afghanistan, n’a t-on pas affaire à des fanatiques tout simplement ? C’est une espèce de folie théologique : on s’enferme dans l’idée que l’on se fait de Dieu et au nom de Dieu, tout est permis.
Un nouveau paysage
Q : On parle beaucoup aujourd’hui des nouveaux mouvements : Opus Dei, Communion et Libération, Focolari, Néo-Catéchuménat. Comment les situerais-tu au regard de l’intégrisme ? Ne retrouve t-on pas, là, un même intransigeantisme ?
R : C’est un type de catholicisme qui déplaît aux progressistes : je ne peux pas considérer que tous ceux qui me déplaisent sont intégristes… Oui, il y a de l’intransigeance dans ces mouvements, mais l’Eglise n’a jamais renoncé à son intransigeance. Il faut revenir à la méthode que je préconise : ces mouvements répondent à des besoins et révèlent des tensions, voire des conflits au sein de l’Eglise.
Q : Vatican II représente tout de même un infléchissement sérieux ?
R : Oui, mais ce n’est pas la sortie de l’intransigeantisme.
L’intransigeantisme se définit par un certain nombre de refus de principe dont les foyers et les enjeux se déplacent : aujourd’hui, refus de l’ordination des femmes, exclusion des divorcés-remariés, l’œcuménisme même… On se rend compte que l’ouverture de Vatican II est une ouverture limitée : quand on ouvre une porte, il faut savoir si c’est pour que ceux qui sont dedans sortent, ou pour que ceux qui sont dehors entrent. Vatican II a ouvert la porte pour que ceux qui sont dehors entrent.
Q : N’y-a-t-il pas plusieurs lectures possibles du Concile ? Jean-Paul II lui-même respecte-t-il toujours l’esprit du Concile ? Quid aujourd’hui de la collégialité ? La conception de la vérité qui s’exprime dans “Splendor Veritatis” est-elle conciliable avec la Déclaration sur la liberté religieuse du Concile ?
R : Il faut lire les textes. Concernant la collégialité, le récent document romain a trait à la théologie des Conférences épiscopales qui ne peuvent pas se substituer aux évêques. Certaines Conférences épiscopales arrivaient à fonctionner par bureaux interposés. Les évêques ont réagi : le document traduit cette réaction. Quant à la déclaration sur la liberté religieuse, j’aurais beaucoup de choses à en dire : dans cette déclaration, le mot Etat n’est même pas prononcé. Or la liberté religieuse y est définie par rapport aux Etats contemporains sécularisés. C’est un texte qui marque un progrès. Mais je ne peux pas réussir à l’admirer sans réserves. En tout cas, il n’y est pas question de liberté de conscience au sens où nous l’entendons.
Q : Reste tout de même Assise qui représente une ouverture incontestable. On est en pleine ambiguïté…
R : C’est l’ambiguïté de l’interprétation. Quand on dit “tout le Concile, rien que le Concile” que dit-on ?
Q : Permets-moi de revenir, pour terminer, sur les nouveaux mouvements. En 1986, tu les évoquais en parlant “d’extrême-centre” ?
R : Je parlais d’extrême-centre parce qu’on l’on parlait d’extrême-droite et d’extrême- gauche. J’ai repris l’image : des mouvements pugnaces et combatifs comme “Communion et Libération” sont des mouvements “très au centre”. Si la démocratie chrétienne est au centre, on a affaire là à un extrême centre.
Q : En France, on a eu aussi les “vierges pèlerines” en 1996. Et après, les JMJ…
R : Je suis frappé moi-même de voir que dans notre quartier, le 5ème arrondissement, les églises qui autrefois étaient vides, maintenant sont pleines, avec de très belles liturgies. Et un public assez jeune ! Reflet du courant charismatique ? Je ne pense pas.
Notre-Dame est sans doute un lieu touristique. Mais il se trouve que l’Archevêque de Paris a nommé pour accueillir les touristes japonais un chapelain qui est un ancien prêtre-ouvrier au Japon. Comment interpréter cela dans nos vieilles catégories ?
Est-ce le chapelain qui devient “intégriste” ou le cardinal qui devient “progressiste” ? Ou les Japonais qui se transforment en “néo-chrétiens” ?
On est devant une transformation en profondeur qui rend nos catégories dérisoires. Où placer la communauté Sant’Egidio, née en 1968 ?
Émile Poulat, interviewé par Jacques Chatagner
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http://reseaux.parvis.free.fr/1999_n2_integrisme_poulat.htm